Pierre Henry

L'Œuvre

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Pierre Henry en 2004 © Anne Selders

 

« Ici commence le pays des fantômes… » : ce carton, l’un des premiers insérés dans le Nosferatu muet de Murnau de 1922, amusait beaucoup Pierre Henry… au point d’y percevoir la définition même de son art poétique. Si, selon Julien Gracq, « Wagner est une source inépuisable d’orgie émotive », la formule vaut aussi pour Pierre Henry, dont l’œuvre nous enchante par la richesse de son imagination et sa diversité – qu’elle soit destinée à la scène, au cinéma, au ballet ou à la télévision, ou qu’elle se perpétue, pérennisée par le disque. La présentation de l’œuvre est structurée par collections et genres musicaux, catégories et classements organisés par Pierre Henry depuis toujours : « Toujours inachevé, éternellement recommencé, dynamique malgré son irrémédiable imperfection, le classement est à lui seul le moteur de ma création. Pour moi, classer c’est créer. » (*)

(*) Pierre Henry – Journal de mes sons – Paris, Séguier, 1996 ; réédition suivie de Préfaces et manifestes – Arles, Actes sud, 2004, p. 23.

 

LES COLLECTIONS

Répertoriée depuis les premiers sons de 1944, la chronologie de cette œuvre foisonnante donne le vertige, entre un catalogue faisant état à ce jour de pas moins de 219 opus ou œuvres musicales, 205 « Musiques d’application » – ballet, cinéma, scène, art plastique, radio et publicités. – plus de 160 « Musiques alimentaires », non signées P.H. – enregistrements et montages de disques, illustrations sonores et bruitages pour un film, effets spéciaux, etc. –, un peu moins d’une centaine d’ « Ébauches et projets », dont plusieurs ont connu une reprise. Les Éditions discographiques, nombreuses, témoignent pour une part non négligeable des multiples créations et spectacles qui jalonnent la carrière du compositeur, 45 tours, vinyles et CD, sans oublier les publications spéciales, tirages limités, nouvelles numérisations et inédits. Enfin, un choix de textes de et sur Pierre Henry éclaire sa création.

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LES GENRES

L’œuvre de Pierre Henry est une galaxie où les genres s’interpénètrent parfois, à l’exemple de Symphonie pour un homme seul, créée en concert en 1950 et donnée l’année suivante dans sa version ballet, chorégraphiée par Merce Cunningham puis trois ans plus tard par Maurice Béjart – l’association Henry-Béjart multipliant par la suite les passages entre concert et ballet. Si ces deux catégories sont bien connues, en revanche on découvre ici les premières partitions, d’avant la musique concrète  : « Musique de chambre » entre 1945 et 1951, dont un Premier Quatuor pour violon, harpe, vibraphone et piano de 1949…

Les « Musiques de scène / Théâtre » voient dès 1950 celle pour un texte d’Adamov mis en scène par Jean-Marie Serreau et Roger Blin, en 1954 L’Amour des quatre colonels de Peter Ustinov et plus récemment Schattenzonen ou Zones d’ombres de Jean-Jacques Schuhl, avec Ingrid Caven en 2003.

Les « Musiques de film » sont prédominantes dès 1949 ; à Voir l’invisible de Jean-Claude Sée, succéderont des compositions destinées à Jean Grémillon, Jean Rouch, Enrico Fulchignoni, Jean Painlevé, sans oublier le cinéma muet de Walter Ruttmann – Berlin, symphonie d’une grande ville – et Dziga Vertov – L’Homme à la caméra – ou les emprunts à Messe pour le temps présent pour Z de Costa-Gavras (1969), Voile d’Orphée pour Au-delà du réel de Ken Russell (1979) ou encore Variations pour une porte et un soupir… dans la série The Sopranos (1999).

Collaborateur et intime des plasticiens, Pierre Henry crée à partir des sculptures, peintures et installations de Nicolas Schöffer (Spatiodynamisme et Kyldex), improvise pour Georges Mathieu, compose pour Yves Klein (Symphonie monoton/Monochromie), Thierry Vincens, Jean Degottex (Investigations à trois reprises, entre 1959 et 2008), ainsi que l’ami Jacques Villeglé, entre 1999 et 2008.

Illustrateur pour le disque, il accompagne des récits pour enfants dès les années 1950 mais aussi des lectures d’évangiles et de psaumes, quand ses sons ne s’immiscent pas dans les enregistrements d’Urban Sax, du groupe de rock Violent Femmes ou du trompettiste Erik Truffaz – More, en 2000.

Son art du montage s’engouffre dans l’imaginaire de l’auditeur, plus encore lorsque celui-ci est à l’écoute d’émissions radiophoniques grâce à des intermèdes créés pour la circonstance, son Journal de mes sons porté par la voix de Florence Delay (2000) ou les séries de feuilletons, tel Maldoror d’après l’ouvrage surréaliste du comte de Lautréamont, découpé en 50 épisodes pour France Musique en 1992.

Concentrées sur une dizaine d’années, de Boldoflorine (1954) à L’Art cinétique et la mode (1967), les « Musiques publicitaires » se rattachent à l’important corpus de travaux alimentaires indispensables à l’équilibre financier du premier studio privé de musique électroacoustique conçu en Europe par Pierre Henry en 1959 : Apsome. Ainsi La gaine Scandale « côtoie » la Banque Populaire aussi bien que le Pâté Olida ou la Simca 1300 ! À ce corpus bigarré s’ajoutent des « Musiques pour catalogue dramatique et de stock » et des « Musiques urbaines » comme deux versions d’annonces sonores destinées aux deux premières lignes du « Tram Train » de Mulhouse, inaugurées avec des œuvres in situ de Daniel Buren et Tobias Rehberger en mai 2007. « Les Musiques événementielles » se rattachent à des spectacles, comme à Lille, en 1977, ces étonnantes Métamorphoses audiovisuelles pour rayons laser (le groupe Laser Graphics), Corticalart – à la console, Pierre Henry avait la tête recouverte d’électrodes ! –, bandes magnétiques et voix en direct – celle d’Anne Wiazemsky – auxquels s’ajoutait l’électronique sur synthétiseur de Michel Asso, ainsi que ces autres Métamorphoses d’Ovide II pour un concert avec Erik Truffaz improvisant en direct, le 27 novembre 2004 à la Maison de la culture de Grenoble. À découvrir ou retrouver dans « Les Musiques de circonstances » la Compilation amoureuse dédiée à Maurice Béjart que Pierre Henry réalise sur CD à la suite de la mort du chorégraphe (22 novembre 2007) et, trois ans plus tard, Analogy – qui puise dans les sons des Douze Heures de la nuit –, commande du festival Wet Sounds diffusée sous l’eau par Étienne Bultingaire à la York Hall Pool de Londres, le 6 mars 2011. Quant aux « Musiques improvisées », on retrouvera bien sûr à plusieurs reprises Pierre Henry en duo avec le trompettiste Erik Truffaz dans Poussière de soleils et Métamorphoses d’Ovide ainsi que dans une relecture en version mixte d’Utopia en 2014.

Franck Mallet

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